Hors De Moi by Didier van Cauwelaert

Hors De Moi by Didier van Cauwelaert

Auteur:Didier van Cauwelaert [Cauwelaert, Didier van]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Le Livre de Poche
Publié: 2003-01-01T05:00:00+00:00


Elle vient d'ouvrir les volets, se penche vers la rue. Elle étend la main pour voir s'il pleut. Elle porte une de mes chemises, comme d'habitude au réveil. Elle disparaît, laisse la fenêtre ouverte.

Je recule dans le renfoncement où je me gèle depuis une heure. Elle a toujours dormi nue, et passé ma chemise de la veille pour aller préparer le break- fast. Le seul rite de nos débuts qui ait résisté au temps. Mon estomac se serre au souvenir de l'odeur de café qui venait chaque matin se glisser dans mes rêves. J'allais la rejoindre à la cuisine et on faisait l'amour un jour sur deux, suivant le programme du talk-show qu'elle regardait distraitement d'une pièce à l'autre sur les trois télés branchées en permanence, à moins que l'intérêt du sujet ou la célébrité de l'invité ne la clouent devant l'écran géant sur le canapé du salon, plateau sur les genoux, alors j'emportais ma tasse dans la salle de bains.

Ce matin, je n'ai eu que du thé vert sans théine et des galettes au soja. Le petit déjeuner du neuropsychiatre. Il dormait encore, la femme de ménage repassait des slips à côté de mon bol. Elle m'a dit que j'avais meilleure mine que la veille. Je lui ai répondu que sa daube était délicieuse.

- Pourquoi, vous avez demandé au chien ?

J'ai rougi dans la chaleur du fer. Elle a haussé les épaules, a ronchonné qu'elle avait l'habitude de cuisiner pour rien, avec le docteur : un appétit de moineau. Elle partait au marché de Rambouillet, a voulu savoir ce qui me ferait plaisir pour le déjeuner. Je lui ai demandé de me déposer à la gare. Le médecin m'avait fait du bien, moins par ses théories sur mon coma que par sa propre situation, ses confidences, sa détresse résignée, son impuissance active. Je lui ai laissé un mot de remerciement sur la table. Dans le jardin qui s'égouttait au soleil, Bernadette appelait le chien, en vain.

— Encore la doberman d'à côté qui est en chaleur, a-t-elle râlé en décapotant le roadster.

Elle conduisait comme une vraie myope, corrigeant constamment sa trajectoire, franchissant la ligne blanche en accélérant dans les virages, provoquant les appels de phares des autos qu'on croisait. Elle beuglait par-dessus le rugissement du moteur, dans les tourbillons d'air :

— Avec mon homme on faisait des rallyes, quand on était jeunes. C'est moi qui ai appris à conduire au docteur.

Un break bleu nous suivait depuis l'entrée dans la forêt. Soudain il nous a doublés au milieu d'un lacet, avec une queue-de-poisson. Le coup de volant qu'a donné Bernadette a failli nous envoyer dans le ravin. Elle a rouspété cinq minutes contre les gendarmes du village, qui d'après elle étaient bourrés dès l'aube. Je n'avais rien dit, mais ce n'était pas une voiture de gendarmerie.

La parano m'a repris dans le train pour Paris. Je me sentais épié derrière les journaux, changeais de wagon à chaque gare. Je revoyais le camion jaune foncer sur le taxi de Muriel Caradet, la moto du Forum des Halles.



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